Afghanistan : au cœur du Chaos

L’Afghanistan aurait dû être un cas d’école : une guerre juste, un large consensus pour bouter Al-Qaida et le régime moyenâgeux des talibans hors de l’Afghanistan, et l’espoir immense de voir le pays, ravagé par trente années de guerre, sortir enfin de l’ornière sous la houlette d’un président suave et consensuel soutenu par la communauté internationale.
Huit ans plus tard, la corruption est générale, le pays est devenu le plus grand exportateur d’opium au monde, les seigneurs de la guerre sont toujours aussi puissants et les talibans contrôlent un tiers du territoire. Les opinions occidentales réclament de plus en plus le désengagement, mais ce sont les civils qui paient le plus tourd tribut. Quant aux dernières élections, entachées de fraude, leur résultat est déjà contesté… Comment en est-on arrivé là ?
C’est la question à laquelle tente de répondre Ariane Quentier. Sa connaissance du pays, où elle a longuement travaillé, lui a aussi bien permis de fréquenter les salons ministériels de Kaboul que de crapahuter dans le Helmand avec les troupes américaines.
Le constat qu’elle dresse est accablant, la descente vers le chaos a commencé.
Est-il encore temps de la stopper ?
Editions Denoël, 2009
Remise du prix d’Estienne d’Orves le 21 mai 2011, Mairie de Nantes
Discours de Jean-Pierre Bois, président d’honneur de l’Association Régionale des Auditeurs de l’IHEDN des Pays de la Loire
Madame,
Votre présence parmi nous, à l’Hôtel de ville de Nantes, entourée des représentants de l’Association régionale des auditeurs de l’IHEDN des pays de la Loire, mais aussi des représentants du plus grand nombre des associations patriotiques de notre département et de notre région, est un honneur, Madame.
Journaliste, vous avez travaillé à l’OTAN, puis à l’ONU en Afghanistan, vous avez été porte-parole des Nations-Unies avant de rejoindre les programmes de désarmement du gouvernement afghan, puis le ministère de l’Intérieur. Vous vivez plus souvent à Kaboul qu’à Paris, je crois, et vous arrivez du Pakistan pour nous rejoindre aujourd’hui. C’est dire en même temps plusieurs choses.
L’envol du prix d’Estienne d’Orves, dont la mention est faite maintenant, par exemple pour présenter Pierre Servent dans l’une de ses récentes interviews dans l’Express, sans autre référence, ce qui veut dire qu’il arrive à maturité, à prendre place dans le paysage de référence des prix littéraires, bien que distribué au printemps et non pas à l’automne.
L’étendue de son contenu. Parti de la culture de Défense incarnée par la haute figure du commandant d’Estienne d’Orves, il s’étend à toutes les facettes de l’engagement pour la paix, pour la liberté, pour la dignité éminente de l’Homme, sur tous les théâtres où elles sont des enjeux prioritaires.
C’est le cas de l’Afghanistan, presque un sujet désormais commun de l’édition – on publie un livre chaque jour au presque sur ce malheureux pays où les maisons ont la couleur de la terre et sont toujours dans un décor de montagnes pauvres, ce pays qui connaît la guerre chaque jour depuis au moins trente ans, celle des Russes d’abord, celle des talibans maintenant, sans autre horizon que le désespoir. Comment résumer votre expérience ? Corruption, opium, misère, et mort, et maintenant désengagement de l’opinion occidentale lassée, sans doute désintéressée de la répétition quotidienne de cette sorte de série télévisée des informations dont on a l’impression de revoir sans cesse les mêmes épisodes. La descente vers le chaos, c’est votre constat. Est-il possible de la stopper ? C’est la question que vous posez. Je ne peux y répondre à votre place, Madame.
Parlez-nous de Massoud, et de Karzai, d’Herat la ville que vous aimez, par laquelle est passé Alexandre en 330, puis Gengis Khan, puis la reine Gohar Shad; parlez-nous de Moqasada Sidiqi, cette étudiante de dix-neuf ans qui est, le 9 octobre 2004 à Islamabad à 7 heures précises, au Pakistan donc, le premier Afghan – et la première Afghane, vous le soulignez – à avoir exercé le droit de vote (p. 49) ;
Parlez-nous du désarmement auquel vous avez travaillé, mais si difficile – j’ai retenu (p. 199) cet épisode de l’été 2005 ou le commandant Maroukis vient vous harceler pour présenter douze commandants qui acceptent de remettre leur armes : » une kalach et demie par commandant, qui aurait envie de faire de la « com » là-dessus ? « , répondez vous. « La paix, est-ce si difficile ? » demandait Victor Hugo en 1876 à propos de l’engrenage qui se nouait déjà en Serbie, cinquante ans avant que l’on ne parle de Yougoslavie, et cent vingt ans avant qu’on ne parle d’ex-Yougoslavie.
Parlez-nous de la paix, sur laquelle s’ouvre votre livre, le 11 septembre 2001, journée choisie par les Nations-Unies pour célébrer la paix, journée consacrée au cessez-le-feu et à la non-violence dit Kofi Annan de son bureau de New York à 8 heures du matin, 45 minutes avant 8 heures 45, et 1 heure 03 avant 9 heures 03, les instants où les tours du World Trade Center entrent dans l’histoire et changent le monde.
Vous posez aujourd’hui, Madame, la même question que Hugo pour la Serbie en 1876 : « Est-ce donc-si difficile, la paix ? » Vous la posez pour un pays que vous connaissez, que vous connaissez sans doute mieux que beaucoup d’autres, avec une clarté et une finesse d’analyse qui justifieraient, a dit l’un des membres de notre jury, que votre livre figure au rang des lectures obligatoires pour tous les militaires, et pour tous les civils.
Nous vous en remercions.
Jean-Pierre Bois.